Qui a dit que Lidl n’était pas à la pointe de la mode ? Bon, j’avoue, moi ! Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, faisons un point sur qui est Lidl. Fondée en 1930 en Allemagne, l’entreprise est rachetée par un certain Joseph Schwarz. Ce même monsieur décide de nommer la firme “Schwarz-Market”, “Marché Noir” en français, mais cette idée est vite abandonnée en raison de la connotation. En 1968, le premier magasin Lidl ouvre et Joseph décide de suivre la même success story que son concurrent : Aldi. La stratégie est simple, proposer des prix cassés sur le marché de la grande distribution. Cette opération semble fonctionner puisque Lidl est présentée dans 26 pays avec près de 12 000 magasins et emploie environ 300 000 personnes. “Le vrai prix des bonnes choses” résonne dans de nombreux foyers français, européens et mondiaux.
Nous arrivons à la partie croustillante ! Comment une paire de sneakers vendue 12,99 € chez Lidl a-t-elle réussi à se revendre pour 1 200 € ?
Initialement imaginée le 1er avril 2019, cette paire de sneakers n’est, à l’origine, qu’un poisson d’avril. Cette idée rencontre cependant un fort succès sur Twitter (aujourd’hui X) et Internet. Voyant que le public s’intéresse de près au projet, l’équipe de Lidl décide de sortir 400 paires qu'ils font gagner par tirage au sort. L'histoire veut qu'une paire ait été revendue sur le marché de la revente à plus de 1 200 €. Rumeur ou réalité ? Je ne sais pas. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que cette annonce enflamme la toile. Dans la foulée, Lidl annonce la sortie de 2 000 paires dans des points de vente au hasard en Belgique, sans faire de publicité au préalable. Face à ce succès, 80 000 pièces sont dévoilées en juillet 2021. Idem, sold out.
Cette stratégie du "Drop" est très connue sur le marché des sneakers. Mais comment une marque telle que Lidl a-t-elle réussi à s’approprier cette culture ?
Penchons-nous davantage sur cette “Drop Culture”. Ce mouvement aurait commencé au Japon dans les années 80. De jeunes créateurs lancent des éditions limitées de leurs produits et créent ainsi de l’engouement. Les Américains, qui s’intéressent de près au marketing, suivent cette tendance avec la première Air Jordan et enregistrent des taux de vente spectaculaires. Si bien que l’on observe pour la (quasi) première fois des émeutes et des scènes de rare violence. Bref, vous l’aurez compris, cette technique marketing plaît, fonctionne, donc pourquoi s’en priver ? La majorité des enseignes va ensuite reprendre cette technique (Supreme est un pionnier, mais ils méritent leur propre article) qui dépasse aujourd’hui les frontières de l’industrie de la mode (Tesla par exemple). Plus que démocratisée, la “Drop Culture” a laissé place à un modèle mainstream pour les sneakers addicts, le cop or drop (acheter ou laisser tomber), qui fonctionne sous forme de tirage au sort la plupart du temps. Ces techniques marketing ont entraîné les marques à généraliser les collaborations pour créer encore plus de désirabilité.
C’est là que ça devient intéressant pour Lidl ! Ils ont bien compris que jouer sur la désirabilité du produit est bénéfique. En effet, on ne s’adresse plus seulement à une clientèle qui veut porter leurs chaussures mais aussi, et surtout, à une clientèle appelée “les resellers”. Cette catégorie de fans de sneakers, souvent critiquée par les puristes, vit de l’achat-revente de paires très recherchées. Il y a moins de passion et plus de business. Ce marché de la revente représente 6 milliards de dollars, crée de l’emploi et offre une opportunité aux marques de générer du chiffre d’affaires facilement en utilisant cette technique.
Le drop est aussi très critiqué. En activant une sensation d’urgence permanente chez les consommateurs, on a d’un côté 1. les entreprises qui prônent le zéro stock et de l’autre, 2. notre société qui pousse à la surconsommation. Les questions persistent à ce sujet : le client a-t-il réellement besoin de consommer ou cela contribue-t-il seulement à un sentiment d’appartenance ?
Là encore, Lidl réitère. L’été dernier, un nouveau drop est sorti avec la panoplie complète : sneakers, bob, serviette de plage, sac en bandoulière, etc. Avec la même technique marketing, la paire est proposée à la vente à 13,99 €. Lidl ne fait pas de publicité et sort le modèle aléatoirement dans ses points de vente. L’enseigne de hard-discount ne connaît pas le succès du précédent drop et les paires restent en stock car l’opération perd de sa rareté, si bien que le modèle est soldé à 9,99 €. Nous nous sommes procuré un modèle chez Le Sneak QG afin de l’étudier. La paire en elle-même n’est pas laide, c’est un basique blanc avec des rappels de couleurs de la marque Lidl (bleu, rouge, jaune). On comprend tout de suite pourquoi ces sneakers sont proposées à un prix si faible. Les matériaux sont de très (très) mauvaise qualité et la paire pèse moins de 500 grammes. Vous me direz : “pour ce prix-là, c’est normal”. Et vous aurez raison.
Mais là n’est pas le fond de ma pensée.
Ce que je voulais vous expliquer à travers ce système de drop et de désirabilité, c'est qu'il peut être sain. Plusieurs marques le font très bien et ce système se transforme même sous forme de précommande (encore mieux car les productions sont contrôlées). Le but n’est pas non plus de faire la morale sur la surconsommation, mais plutôt d’avertir sur ce genre de marques, qui ne sont pas issues de l’industrie de la mode et qui déconstruisent l’image de la rareté.
Il n’est pas question de critiquer Lidl non plus. Il est important d’écouter son public, comme ils l’ont fait lors de la sortie de leur première paire. Tout le monde ne souhaite ou ne peut pas se payer des paires à plusieurs centaines d’euros.
En revanche, ce système de drop de sneakers dans le hard discount a tendance à détruire la valeur que l’on accorde à un produit. Créer de la richesse à travers un produit en multipliant par 100 son prix à la revente déconstruit complètement ce que les Japonais des années 80 ont instauré avec leurs éditions limitées.
Pour préserver la réelle rareté, il faut se renseigner. Tous les drops ne sont pas à se procurer. Soyez attentifs aux matériaux utilisés, au nombre de paires produites, aux designers ayant travaillé sur le produit et surtout,
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